Premiers résultats de l’enquête nationale sur la violence à l’encontre des femmes réalisée en 2019 par le Haut-Commissariat au Plan
Dans le cadre de la campagne onusienne des 16 jours d’activisme contre la violence à l’égard des femmes, le Haut-Commissariat au Plan a publié mardi 10 décembre 2019 les premiers résultats de l’enquête nationale sur la violence faite aux femmes et les perceptions de la société sur ces violences.Date:
L’enquête nationale de 2019 sur la violence à l’encontre des femmes a été réalisée dans l’optique d’avoir une connaissance holistique du phénomène de la violence subie par les femmes au Maroc en portant notamment une attention particulière aux déterminants de la violence et sa perception par la population marocaine. Cette enquête a été réalisée sur la base des données récoltées lors du travail de terrain mené entre février et juillet 2019 et a couvert la totalité du territoire national avec un échantillon de 12 000 filles et femmes et 3000 garçons et hommes âgé·es de 15 à 74 ans. Pour marquer la clôture des campagnes nationale et internationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes, le Haut-Commissariat a publié les premiers résultats de l’enquête, portant sur deux des thèmes de l’enquête : les grandes tendances de la violence à l’encontre des femmes et les perceptions de la société à son égard.
Taux inquiétants de prévalence de la violence
Les données actualisées révèlent, une fois de plus, le caractère structurel du phénomène de la violence au Maroc avec un taux global de 57%, soit 58% en milieu urbain et 55% en milieu rural. Si le taux global des violences rapportées par les filles et les femmes au cours des 12 derniers mois, toutes formes confondues et tous contextes confondus, est passé de 62,8% il y a dix ans à 57% en 2019, les prévalences des violences économiques et sexuelles ont quant à elles fortement augmenté : les violences économiques sont passées de 8% à 15%, et les violences sexuelles de 9% à 14%. Globalement, les Marocaines et les Marocains ont l’impression que les violences faites aux femmes ont augmenté (73% des femmes et 55% des hommes).
6,1 millions de femmes marocaines ont déclaré avoir été victimes de violence dans le contexte conjugal, soit 52%
La violence faite aux femmes et aux filles reste principalement perpétrée au sein de l’espace conjugal et familial avec une prévalence de 52%, soit 6,1 millions de femmes marocaines. Parallèlement, l’opinion publique mesurée dans une deuxième partie de l’enquête a permis de confirmer que 57% des femmes interrogées perçoivent le contexte conjugal comme celui où la violence est prédominante au Maroc. Cette forme de violence est particulièrement élevée lorsque le partenaire auteur de violence a lui-même vécu dans un environnement violent. Et pourtant, en termes de perception, pour 75% des femmes et 78% des hommes, les violences faites aux femmes le sont d’abord dans l’espace public.
Les violences faites aux femmes sont majoritairement perçues comme une affaire privée, et sont peu rapportées aux autorités compétentes
Les actes de violences contre les femmes sont rarement rapportés. En effet, seuls 10,5% des actes de violences faites aux femmes, toutes formes confondues, ont été enregistrés par les services de police ou tout autre autorité compétente. Ce chiffre descend à 8% dans le cas des violences conjugales. Cette tendance peut s’expliquer par le fait que 48% des femmes et 70% des hommes ont déclaré percevoir la violence conjugale comme une affaire privée. Et plus encore, 31% des hommes et 27% des femmes affirment que le conjoint ou le partenaire intime a le droit de punir sa conjointe lorsque ce dernier estime qu’elle a commis une faute.
Une acceptation des violences conjugales plus importante chez les femmes les plus jeunes, manquant de ressources et de niveau d’éducation moyen
Les chapitres de l’enquête consacrés aux perceptions de la violence soulignent l’existence d’une culture d’acceptation de la violence. En effet, près de 38% des femmes et 40% des hommes ont déclaré accepter la violence conjugale pour conserver la stabilité de la famille et 21% des femmes contre 25% des hommes ont affirmé que le conjoint a le droit de battre sa femme si elle sort de chez elle sans demander son autorisation. La proportion des enquêtées acceptant la violence conjugale pour le bien-être de la famille est de 53% chez les femmes sans niveau scolaire contre 9% seulement parmi celles ayant un niveau scolaire supérieur. A cet égard, parmi les principaux motifs qui font durer une relation conjugale malgré les violences du conjoint, le manque des ressources de la femme est cité par 11,5% des femmes interrogées. Il ressort de ces chiffres que lorsque les femmes sont jeunes, sans niveau d’éducation et sans indépendance financière, la sortie du schéma de la violence est particulièrement difficile.
D’autre part, pour les déterminants de la violence et les causes, 55% des femmes et 74% des hommes estiment que la pauvreté et les conflits d’ordre matériels sont les principales causes de la violence conjugale ainsi que le manque de communication entre les conjoints, pour 13% des femmes et 6% des hommes. Concernant l’espace public, le premier déterminant de la violence en son sein est également la pauvreté pour 40% des hommes et 15% des femmes.
Les services de protection des institutions publiques et les textes de loi pour la prise en charge des victimes de violence sont méconnus
Enfin, les chiffres révélés par le Haut-Commissariat au Plan au sujet de la connaissance des Marocaines et des Marocains quant à l’existence d’une loi spécifique à la violence à l’égard des femmes et aux services de protection des ayants-droit a révélé que plus de la moitié des femmes et des hommes ne connaissent pas la loi 103.13 relative à la lutte contre la violence à l’égard des femmes : 58% des femmes et 57% des hommes. D’ailleurs, seulement 41% des femmes sont au courant de l’opérationnalité de cellules d’accueil relevant des institutions publiques (DGSN, Gendarmerie Royale, Ministère de la Santé) et restent mieux informées des services proposés par les organisations de la société civile que des structures institutionnelles mise en place et dédiées aux femmes et filles victimes de violence.
La version complète des principaux résultats de l’enquête nationale de prévalence de la violence à l’encontre des femmes et des filles sera publiée en 2020 et inclura l’estimation du coût social et économique, les impacts directs et indirects de la violence sur les individus, les ménages et la société.
ONU Femmes a accompagné le Haut-Commissariat au Plan dans la réalisation de cette enquête dans le cadre du Programme Prévention et Intervention améliorées en cas de violences faites aux femmes au Maroc, financé par le Gouvernement du Canada, et dans le cadre de la mise en œuvre du programme phare d’ONU Femmes « Women Count ». ONU Femmes a appuyé le HCP par de l’expertise technique sur les standards internationaux en matière d’enquête sur la violence, la formation notamment des coordinateurs et coordinatrices régionaux en matière d’approche sociologique des violences faites aux femmes, en enrichissant les questionnaires d’enquête par les meilleures pratiques internationales et en mobilisant des écoutantes de la société civile pour renforcer les équipes d’enquêtrices du Haut-Commissariat au Plan.