Où je me tiens : Hayat Ndichi, Présidente de l’AAF

Hayat Ndichi, activiste féministe marocaine et Présidente de l’Association Aspirations Féminines à Meknès – au nord-ouest du Maroc- , a partagé avec ONU Femmes sa perception de l’impact du COVID-19 sur les violences dont sont victimes les femmes et les filles au Maroc. Elle nous raconte son expérience durant la période du confinement sanitaire.

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Photo: Courtoisie de Hayat Ndichi

« Aussitôt que le Maroc a été touché par la pandémie, on se doutait bien au sein de l’association que la mesure du confinement obligatoire ne saurait tarder. J’ai rapidement rassemblé les membres de notre association pour réfléchir à notre stratégie. J’avais une seule certitude : il était impossible d’arrêter l’activité de l’association du jour au lendemain. Et ce d’autant plus que nous apportons notre appui et services à des femmes qui sont quotidiennement exposées à un risque de violence domestique chronique. Nous avons donc rapidement programmé deux actions : la mise en place de lignes téléphoniques pour assurer l’écoute à distance et la sensibilisation des citoyens et citoyennes. C’est ainsi que nous sommes sorties avec nos véhicules personnels et des mégaphones dans les rues de Meknès, dans les quartiers les plus vulnérables, pour la distribution de flyers avec les numéros d’écoute et des messages de promotion de la paix au sein des foyers. Notre campagne de sensibilisation s’est matérialisée par la création du hashtag #lefoyer_est_un_espace_de_paix_pas_de_torture que nous diffusons massivement sur les réseaux sociaux.

Nous avons ensuite réfléchi au service essentiel de l’hébergement des survivantes. J’ai d’ailleurs personnellement accompagné des mères célibataires et des femmes victimes de violence à l’association ; il m’était donc impossible de les abandonner. Pour faire face à cette problématique, une négociation fructueuse a eu lieu avec l’Entraide Nationale[i], qui a mis à notre disposition un espace au sein d’un établissement qui abrite également les sans domiciles fixes durant le confinement. Dans un troisième temps, l’association a fait l’intermédiaire entre des victimes de violence domestique et les autorités compétentes locales, soit les cellules de prise en charge des femmes victimes de violence du Ministère Public, de la Direction Générale de la Sûreté Nationale ainsi que le Ministère de la Santé. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec ces institutions.   

Par contre, sur le terrain et au quotidien, nous devions gérer d’autres contraintes liées au confinement, et plus particulièrement vécues par les femmes et les filles victimes de violence. En effet, l’attribution d’une seule attestation de déplacement dérogatoire par ménage, généralement détenue par le conjoint, limite significativement, voir rend impossible, les options de sortie de violence des victimes. Elles ne peuvent malheureusement plus avoir accès aux centres d’hébergement, et encore moins aller dans une autre ville pour être accueillie chez des proches. Par ailleurs, en plus d’être victimes de violences conjugales, ces femmes sont également victimes de violences économiques, le chef de ménage étant bénéficiaire de l’indemnité mensuelle octroyée par l’Etat. Les victimes de violences sont, donc, non seulement dépendantes financièrement de leurs conjoints, mais en plus de cela, n’ont pas accès aux services des associations d’appui à leur l’autonomisation économique.

Enfin, la connexion à internet et aux outils technologiques non généralisée rend l’accès aux services à distance d’autant plus difficile. Ainsi, quand bien même nous mettons en place des services d’écoute, les victimes de violence ne disposent pas toutes d’un téléphone ou d’un smartphone et quand cela est le cas, elles n’ont que rarement des forfaits téléphoniques.

Enfin, si nous devrions tirer une leçon de cette crise, cela serait d’accorder davantage d’importance à la digitalisation et l’accès à distance aux services essentiels pour les femmes victimes de violence. Cela inclut le développement de la digitalisation de nos services d’accompagnement et d’orientation ainsi que le renforcement de capacités des utilisatrices à l’utilisation des nouvelles technologies.

Si j’avais un seul message à transmettre ? Assurer la sécurité des femmes victimes de violence devrait être l’une des priorités nationales en période de crise, en commençant par la sensibilisation. La réponse à la violence faite aux femmes et aux filles doit d’abord être préventive. Par exemple, dès lors que l’on a su que la population allait être confinée par foyer, il fallait immédiatement communiquer sur les sanctions que prévoit la loi 103.13 et sur la réalité que représente la violence domestique au Maroc, en diffusant les chiffres clefs.



[i] Institution sociale sous la tutelle du Ministère de la Solidarité, du Développement Social, de l’égalité et de la famille.