Les femmes et les filles s’unissent et font entendre leurs voix au Maroc pour réclamer l’égalité devant la loi

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Après avoir mis fin à une relation amoureuse de cinq ans, la vie de Malika Saidi* a été complètement bouleversée. Pour la punir et se venger d’elle, son ancien compagnon l’a menacée de publier sur les réseaux sociaux des vidéos intimes (enregistrées sans son consentement) dans lesquelles elle apparaît, et de les partager avec sa famille proche et ses collègues afin de nuire à sa réputation.

«Cette épreuve m’a transformée : [je suis passée] d’une jeune femme épanouie prête à démarrer sa carrière professionnelle à une femme en dépression qui envisageait même de mettre fin à ses jours », déclara-t-elle dans une lettre adressée à ONU Femmes. Bien que la vengeance pornographique soit incriminée par la loi visant à lutter contre les violences faites aux femmes, Mme Saidi n’a pas signalé cet incident aux autorités compétentes, de peur d’être incriminée pour «attentats aux mœurs» comme le stipule le code pénal. En effet, si cette mention venait à apparaitre sur son casier judiciaire, cela mettrait terme à sa carrière actuelle.

Crédits photo: ONU Femmes/Mohammed Bakir
Crédits photo: ONU Femmes/Mohammed Bakir
Le code pénal marocain criminalise les relations sexuelles hors-mariage et ne définit pas le viol. Ce vide dissuade plusieurs femmes impliquées dans des relations hors-mariage et survivantes de violence de dénoncer la violence sexuelle, de peur d’être elles-mêmes poursuivies. En effet, le nombre de personnes accusées de relations sexuelles hors-mariage et d’adultère est plus élevé que celui des crimes liés à la violence contre les femmes. Selon l’Enquête nationale sur la violence à l’égard des femmes réalisée par le HCP en 2019, seules 3 femmes victimes de violence sexuelles sur 100 déposent une plainte auprès des autorités compétentes.

Depuis 2018, ONU Femmes accompagne, avec l’appui du Gouvernement du Canada, un réseau national de plaidoyer – la Coalition du Printemps de la Dignité- pour amplifier le mouvement des droits des femmes au Maroc et pour influencer les réformes législatives.

« J’ai toujours été fascinée et inspirée par les féministes marocaines comme Hayat N’dichi. Cette génération de féministes charismatiques a ouvert la voie aux générations futures. Je me suis alors demandé qu’est-ce qui m’empêchait d’être comme elles ? Rien.» déclara Hakima Rekaibi, une activiste pour les droits des femmes ,membre de l’Association Aspirations Féminines basée à Meknès, et coordinatrice de la Coalition du Printemps de la Dignité.

Influencée par des féministes Marocaines, Hakima Rekaibi œuvre à son tour pour permettre aux femmes et filles de faire entendre leur voix et réclamer l’égalité face à la loi.

Crédits photo: ONU Femmes/Mohammed Bakir
Crédits photo: ONU Femmes/Mohammed Bakir

En 2019, la Coalition, composée de 25 associations militant pour les droits des femmes, a organisé quatre ateliers pour recueillir les expériences et les doléances des femmes et des filles, notamment des survivantes de violences. Leurs voix ont permis d’alimenter un mémorandum sur le projet de réforme du code pénal. Ce mémorandum réclame notamment l’inclusion dans le code pénal de la pleine égalité entre les hommes et les femmes, la protection des survivant·e·s de violence, la dépénalisation des relations sexuelles hors mariage, la définition du viol – y compris le viol conjugal- et la primauté de la volonté des femmes souhaitant avorter. "Le combat pour les droits des femmes et pour les droits des survivantes de violence consiste à leur donner une voix", déclare Mme Rekaibi.

Le mémorandum a été présenté aux six principaux partis politiques du pays, ainsi qu’à la Chambre des Représentants et la Chambre des Conseillers.

En Mars 2020, Hakima Rekaibi a appuyé l’organisation d’une marche à laquelle ont participé 150 survivantes de violence sous le slogan « Pas de justice ni d’égalité sans droits des femmes ». En novembre 2020, en pleine pandémie, la Coalition a produit une chanson « Ma Dignité », traduisant le mémorandum en musique pour toucher un public plus large.

 

Pour ma dignité. Changez la loi. Qui est avec moi ? L'égalité est tout ce que nous demandons.

Mon corps m'appartient. La grossesse est personnelle. Mon destin est entre mes mains. Que la loi me protège de ceux qui volent.

Comment peut-il me violer, me violer, me laisser tomber, et s'en sortir libre ? Levez sa sanction et attachez-moi.

Réclamons nos droits selon la loi. Protégeons nos droits selon la Loi. Mettez fin à l'injustice. Révisez la loi.

Vivre avec dignité me protège, protège ma vie et protège ma peau.

Pour ma dignité. Changez la loi. Qui est avec moi ? L'égalité est tout ce que nous demandons.

 

« Auparavant, il n’existait pas de loi spécifique à la lutte contre les violences faites aux femmes et peu de services leurs étaient dédiés. Les femmes avaient un ressenti de peur et d’impuissance » se remémore Hakima Rekaibi. « Être engagée dans cet activisme a métamorphosé ma vision du monde. Aujourd’hui, les choses sont entrain de changer et d’évoluer. »

Survivantes de violence réclamant les pleins droits des femmes lors d’une marche en mars 2020 à Meknès | Crédits photo : Coalition du Printemps de la Dignité

Les élections législatives sont programmées au Maroc pour le 8 septembre 2021. Encouragés par la Coalition du Printemps de la Dignité et d’autres mouvements  de droits des femmes à travers le pays, des membres du Parlement se sont prononcés en faveur de l’abrogation des dispositions discriminatoires du code pénal.

En collaboration avec UNFPA, le PNUD, l’ONUDC et l’OMS, ONU Femmes a développé un programme phare régional pour lutter contre la violence à l'égard des femmes et des filles dans les États arabes.  Ce programme fait le lien entre la recherche et les recommandations stratégiques,   fournit des conseils pour adapter les normes internationales de prestation de services au sein de la région, et renforce la compréhension et la collaboration entre les agences onusiennes dans des domaines tels que la prévention.

ONU Femmes Maroc soutient les efforts de plaidoyer de l’Association Aspirations Féminines, avec un financement du Gouvernement du Canada.

 

*Le nom a été changé pour protéger l'identité de la personne.

 

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