Radicalités religieuses au féminin : les experts se penchent sur les cas de la Tunisie et du Maroc

« Nous sommes entre le choc des départs et l’anticipation des retours » c’est avec cette phrase que Mouhamed Fakhreddine Louati, de l’Institut Tunisien des Etudes Stratégiques (ITES), a décrit la situation à laquelle fait face la Tunisie suite aux nombreux départs de jeunes tunisiens et tunisiennes vers la Syrie. Il faisait partie des vingt analystes qui ont intervenu dans un colloque international et interdisciplinaire sur les “Radicalités religieuses au féminin – Cas du Maroc et de la Tunisie”, organisé le 3 décembre 2016 à l’Université Internationale de Rabat (UIR) en partenariat avec ONU Femmes Maghreb.

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Ce colloque intervient dans un contexte où les dérives violentes et les expressions extrêmes font tragiquement partie du quotidien des réalités sociales contemporaines et où l’on observe une recrudescence de la présence féminine dans les rangs de l’extrémisme. S’exprimant à cette occasion, Leila Rhiwi, Représentante d’ONU Femmes Maghreb, a expliqué que cette rencontre visait à présenter les regards croisés des chercheurs et des spécialistes de terrain qui ont approché cette question de l’extrémisme religieux et de la radicalisation dont sont victimes les femmes, et aussi d’essayer d’améliorer la connaissance autour de ce phénomène pour réfléchir à des solutions limitant l’extrémisme. Elle a notamment cité une étude menée par ONU Femmes et qui a démontré que les femmes constituaient une ressource essentielle pour la promotion de la paix et de la stabilité, et que les sociétés qui respectaient les droits des femmes sont moins enclines à l’extrémisme.

Farid El Asri, Titulaire de la Chaire “Cultures, Sociétés et Faits religieux” et Professeur-associé à Sciences-Po Rabat, a, quant à lui, souligné l’importance de se pencher sur la question du genre dans l’analyse des radicalités religieuses et le vide existant actuellement dans la recherche sur cette problématique : « Il y’ a un grand angle mort de l’analyse sur la réalité de la radicalisation dans son sens le plus large mais également sur des spécificités de terrain marocain et tunisien ».

Le 1er panel, qui a porté sur l’approche pluridisciplinaire des radicalisations religieuses féminines contemporaines, a permis de donner au public une idée globale du phénomène avec des chiffres révélateurs : sur les 6600 combattants tunisiens en Syrie, 3200 ont été identifiés dont 4% de femmes.  Pour le Maroc, El Mostafa Rezrazi, Professeur de gestion de crise et Directeur de l’Observatoire Marocain sur l’extrémisme et la violence, a parlé de 275 femmes et expliqué les rôles qu’on leur attribuait dans le cadre de l’évolution de la littérature jihadiste qui, par exemple, octroie aux femmes la possibilité de faire la « hijra » et rejoindre les camps des combattants sans accord parental.

Sur le volet des prismes historique et théologique, sujet du 2ème panel, Naima Bouras, Doctorante en sociologie, a présenté son travail sur la féminisation des religions en Egypte pendant les années 70. Asma Lamrabet, Directrice du Centre des Etudes Féminines en Islam à la Rabita Mohammadia des Oulémas, a en effet expliqué que cette féminisation des radicalités provenait de la vulnérabilité et de la culpabilité ressentie chez les femmes ; elle a notamment souligné la responsabilité morale des institutions dans la redéfinition des concepts religieux ainsi que la proposition d’une nouvelle grille de lecture de ces concepts.

Au-delà de l’analyse du phénomène des radicalités religieuses au féminin en Tunisie et au Maroc, le colloque visait également à sortir avec des recommandations sur la manière dont il faut accompagner les femmes pour lutter contre la radicalité et de contribuer significativement à la recherche scientifique, ce qui a fait l’objet de la dernière partie de cette rencontre. A ce propos, Mohamed Belkebir, de la Rabita Mohammedia des Oulémas, est revenu sur le programme de formation des oulémas-relais et des éducateurs-pairs. Et dans une logique de réponse effective au phénomène, il a également insisté sur le digital afin de cibler les jeunes, souvent victimes des discours radicaux.